Toponymie romane ancienne de la presqu'île guérandaise
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Toponymie romane ancienne de la presqu'île guérandaise
Un sujet que nous avons tendance à oublier ici, en bons brittomanes que nous sommes ! C'est ballot, car la toponymie romane est tout aussi passionnante que la bretonne.
La pointe ouest du pays nantais est dans la zone bretonne pure, mais on y trouve quelques toponymes romans de formation visiblement ancienne :
- le plus célèbre est Saillé en Guérande, noté villa Saliacum ("l'endroit du sel") dans le Cartulaire de Redon. La finale en -é démontre une évolution romane ancienne ; on devrait avoir -ac. Cependant on peut imaginer deux formes en concurrence depuis des temps immémoriaux : cela est prouvé par la forme de Saillé attestée en breton de Batz-sur-Mer, Sélak, et par le microtoponyme Crossélac (*kroaz Selak, "croix de Saillé") en Guérande, noté Salline Crusellac 1419 et 1516-1528, Cruxellac et Crucelac 1540, Crouselac 1543, Crucsela 1557.
Il faut donc être prudent quant à ce nom, et tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant d'y voir un îlot roman remontant à l'Antiquité : Saillé pourrait n'être qu'une forme française ayant supplanté une forme bretonne vernaculaire.
- Faugaret en Assérac, noté La Fougerat 1182, Faulgaret 1474, Faugarec 1581. Composé roman avec le suffixe latin -etum, formé à partir du nom de la fougère, et signifiant "fougeraie". La conservation du G devant A (GA au lieu de JA attendu en évolution romane) prouve cependant une influence bretonne : la forme la plus romane est aussi la plus ancienne, de 1182.
L'intéressante notation de 1581 montre, si ce n'est une forme bretonne authentique pour ce nom, une confusion avec le suffixe breton -ec.
La présence des hospitaliers de Saint-Jean à Faugaret pourrait expliquer ce nom roman ancien. A noter, l'identique Faugaret en Trignac.
- Boulay en Saint-Molf noté Boulet 1480 et 1509, Boullet 1599 et 1627. Nom comparable au précédent, où le suffixe latin -etum est cette fois associé au nom du bouleau, (du gaulois betulla). C'est un homonyme des innombrables Boulaie, Boulay et Bouley de la toponymie romane.
- Grenouillé en Piriac, sur lequel je n'ai guère d'informations, mais qui a l'apparence d'un nom roman authentique et ancien.
Ces toponymes en apparence anodins sont à comparer à Morlaix, La Feuillée, Rédéné, Séné, Cap Caval et Lamotta de Basse-Bretagne, qui sont d'authentiques noms en évolution romane ancienne, et non des réfections ou francisations de toponymes bretons. Ils démontrent la présence ancienne de locuteurs des langues romanes (en continu depuis l'Antiquité pour certains, en particulier Morlaix ??) dans une zone strictement bretonne.
Ce petit sujet doit nous faire garder en mémoire que la composante romane a toujours été présente en Bretagne, depuis les origines, et ne saurait être dissociée de la construction linguistique et historique de la région. Tout ramener au latin ou au breton est une stupidité.
La pointe ouest du pays nantais est dans la zone bretonne pure, mais on y trouve quelques toponymes romans de formation visiblement ancienne :
- le plus célèbre est Saillé en Guérande, noté villa Saliacum ("l'endroit du sel") dans le Cartulaire de Redon. La finale en -é démontre une évolution romane ancienne ; on devrait avoir -ac. Cependant on peut imaginer deux formes en concurrence depuis des temps immémoriaux : cela est prouvé par la forme de Saillé attestée en breton de Batz-sur-Mer, Sélak, et par le microtoponyme Crossélac (*kroaz Selak, "croix de Saillé") en Guérande, noté Salline Crusellac 1419 et 1516-1528, Cruxellac et Crucelac 1540, Crouselac 1543, Crucsela 1557.
Il faut donc être prudent quant à ce nom, et tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant d'y voir un îlot roman remontant à l'Antiquité : Saillé pourrait n'être qu'une forme française ayant supplanté une forme bretonne vernaculaire.
- Faugaret en Assérac, noté La Fougerat 1182, Faulgaret 1474, Faugarec 1581. Composé roman avec le suffixe latin -etum, formé à partir du nom de la fougère, et signifiant "fougeraie". La conservation du G devant A (GA au lieu de JA attendu en évolution romane) prouve cependant une influence bretonne : la forme la plus romane est aussi la plus ancienne, de 1182.
L'intéressante notation de 1581 montre, si ce n'est une forme bretonne authentique pour ce nom, une confusion avec le suffixe breton -ec.
La présence des hospitaliers de Saint-Jean à Faugaret pourrait expliquer ce nom roman ancien. A noter, l'identique Faugaret en Trignac.
- Boulay en Saint-Molf noté Boulet 1480 et 1509, Boullet 1599 et 1627. Nom comparable au précédent, où le suffixe latin -etum est cette fois associé au nom du bouleau, (du gaulois betulla). C'est un homonyme des innombrables Boulaie, Boulay et Bouley de la toponymie romane.
- Grenouillé en Piriac, sur lequel je n'ai guère d'informations, mais qui a l'apparence d'un nom roman authentique et ancien.
Ces toponymes en apparence anodins sont à comparer à Morlaix, La Feuillée, Rédéné, Séné, Cap Caval et Lamotta de Basse-Bretagne, qui sont d'authentiques noms en évolution romane ancienne, et non des réfections ou francisations de toponymes bretons. Ils démontrent la présence ancienne de locuteurs des langues romanes (en continu depuis l'Antiquité pour certains, en particulier Morlaix ??) dans une zone strictement bretonne.
Ce petit sujet doit nous faire garder en mémoire que la composante romane a toujours été présente en Bretagne, depuis les origines, et ne saurait être dissociée de la construction linguistique et historique de la région. Tout ramener au latin ou au breton est une stupidité.
Ar Barzh- Messages : 775
Date d'inscription : 26/02/2008
Age : 53
Localisation : Bro Naoned
Re: Toponymie romane ancienne de la presqu'île guérandaise
je fais remonter ce fil.
Ar Barzh- Messages : 775
Date d'inscription : 26/02/2008
Age : 53
Localisation : Bro Naoned
Re: Toponymie romane ancienne de la presqu'île guérandaise
A ne pas confondre avec des zones "n'ayant jamais parlé breton".
Pour Saillé, on a entendu des explications de ce style sur certains sites ou livres.
Je te trouve un petit peu injuste (pour rire) car sur ce forum, j'ai mis pas mal de mots romans dans la partie toponymie ;-)
La toponymie romane m'intéresse autant car elle est révélatrice d'un monde désormais enfoui.
peu de monde par exemple à st nazaire ne doit savoir ce que signifie "bignon"
(peut etre les anciens ?)
Pour Saillé, on a entendu des explications de ce style sur certains sites ou livres.
Je te trouve un petit peu injuste (pour rire) car sur ce forum, j'ai mis pas mal de mots romans dans la partie toponymie ;-)
La toponymie romane m'intéresse autant car elle est révélatrice d'un monde désormais enfoui.
peu de monde par exemple à st nazaire ne doit savoir ce que signifie "bignon"
(peut etre les anciens ?)
Re: Toponymie romane ancienne de la presqu'île guérandaise
La toponymie romane est en général aussi mal connue, si ce n'est encore moins bien, que sa cousine bretonne.
La plupart des mots qui y sont employés (dont certains évoqués par toi ici, c'est vrai) ne sont plus en usage ou n'ont jamais été connus en français standard : ouche, bignon, versenne, couture (= culture), pé (= colline) ; ils ont aussi des sens différents : touche (= bosquet de grands arbres), mortier (= mare), menée (= chemin), masse (= moulin), étoile (= croisement), île (champs ouverts)...
Franchement je me demande ce qu'un francisant moyen peut comprendre en lisant les panneaux indicateurs du domaine roman ; probablement pas grand-chose. La toponymie devrait être une matière obligatoire à l'école !
La plupart des mots qui y sont employés (dont certains évoqués par toi ici, c'est vrai) ne sont plus en usage ou n'ont jamais été connus en français standard : ouche, bignon, versenne, couture (= culture), pé (= colline) ; ils ont aussi des sens différents : touche (= bosquet de grands arbres), mortier (= mare), menée (= chemin), masse (= moulin), étoile (= croisement), île (champs ouverts)...
Franchement je me demande ce qu'un francisant moyen peut comprendre en lisant les panneaux indicateurs du domaine roman ; probablement pas grand-chose. La toponymie devrait être une matière obligatoire à l'école !
Ar Barzh- Messages : 775
Date d'inscription : 26/02/2008
Age : 53
Localisation : Bro Naoned
Re: Toponymie romane ancienne de la presqu'île guérandaise
Sinon ces noms romans anciens en "zone bretonne pure" sont réellement intéressants, et pas seulement au niveau de la petite toponymie locale.
Elles sont la trace d'un monde révolu, dans lequel plusieurs langues cohabitaient très normalement, le bilinguisme étant aussi banal que de savoir compter jusqu'à dix. Chose difficilement concevable de nos jours, où le rouleau compresseur des médias (et de l'école) tue une langue vernaculaire en milieu familial en une ou deux générations. C'est valable pour les locuteurs des langues régionales comme pour les immigrés.
Cela s'appelle une régression.
Et ce n'est pas propre à la Bretagne : la ville de Metz, en zone romane, comptait au Moyen Age de nombreux germanophones. Il existe un poème médiéval qui évoque ce fait linguistique et dit en substance que tous les "Allemands" de Metz (= personnes originaires de la partie germanophone de la Moselle) savent le français, mais aussi que certains Messins connaissent l'allemand (Coror le connaît peut-être, je ne me souviens plus du texte).
Aujourd'hui la règle est : une langue unique... pour une pensée unique ?
Elles sont la trace d'un monde révolu, dans lequel plusieurs langues cohabitaient très normalement, le bilinguisme étant aussi banal que de savoir compter jusqu'à dix. Chose difficilement concevable de nos jours, où le rouleau compresseur des médias (et de l'école) tue une langue vernaculaire en milieu familial en une ou deux générations. C'est valable pour les locuteurs des langues régionales comme pour les immigrés.
Cela s'appelle une régression.
Et ce n'est pas propre à la Bretagne : la ville de Metz, en zone romane, comptait au Moyen Age de nombreux germanophones. Il existe un poème médiéval qui évoque ce fait linguistique et dit en substance que tous les "Allemands" de Metz (= personnes originaires de la partie germanophone de la Moselle) savent le français, mais aussi que certains Messins connaissent l'allemand (Coror le connaît peut-être, je ne me souviens plus du texte).
Aujourd'hui la règle est : une langue unique... pour une pensée unique ?
Ar Barzh- Messages : 775
Date d'inscription : 26/02/2008
Age : 53
Localisation : Bro Naoned
Re: Toponymie romane ancienne de la presqu'île guérandaise
Tugdu a écrit:A ne pas confondre avec des zones "n'ayant jamais parlé breton".
Pour Saillé, on a entendu des explications de ce style sur certains sites ou livres.
Ce qui est impossible quand on se penche sur la microtoponymie de Saillé : elle est aujourd'hui encore principalement bretonne, et l'était encore plus au Moyen Age.
Ar Barzh- Messages : 775
Date d'inscription : 26/02/2008
Age : 53
Localisation : Bro Naoned
Re: Toponymie romane ancienne de la presqu'île guérandaise
oui exactement il y a une vraie régression et on en connait tous la cause : l'idéologie de l'Etat français: une seule langue.
et ce qui en decoule : ecoles, medias n'est que l'application de cette politique.
mais on sort du sujet !
et ce qui en decoule : ecoles, medias n'est que l'application de cette politique.
mais on sort du sujet !
Re: Toponymie romane ancienne de la presqu'île guérandaise
Le café "le moulin du pé" à saint -nazaire placé à l'endroit de l'ancien dit moulin doit pas mal intriguer et faire sourire les nazairiens.
J'imagine trés bien des versions populaires actuelles de la signification du nom de ce café .....
"le 1er patron de ce café était un vendéen et gros mangeur de mogettes"....
---
Pé signifie "hauteur" en roman/gallo du coin.
J'imagine trés bien des versions populaires actuelles de la signification du nom de ce café .....
"le 1er patron de ce café était un vendéen et gros mangeur de mogettes"....
---
Pé signifie "hauteur" en roman/gallo du coin.
Re: Toponymie romane ancienne de la presqu'île guérandaise
Pour revenir à ce sujet de la toponymie romane, je précise que Fressigné à Piriac n'est pas un nom de lieu ancien en -é (-acum), mais un nom de famille, toujours porté d'ailleurs.
Autres exemples de toponymes romans anciens dans la commune de Guérande :
CLIS (Aula Clis dans le Cartulaire de Redon) est formé sur un mot latin désignant un lieu fortifié, comme Clisson
PUCEL près de Carheil > probable diminutif de puits. (Mais en breton vannetais on a aussi pus, puits, et des diminutifs en -ell).
Probablement TESSON (Teixon en 1572), à moins qu'il ne faille y voir un nom comparable à Theix, Teiz en breton (56) ?
FONTENAY
Ces noms intéressants (et nettement minoritaires par rapport aux noms bretons) suggèrent une présence très ancienne des langues romanes, depuis le Haut Moyen Age et pourquoi pas de manière continue.
Ils connaissent un répartition symptomatique : soit le long de la voie romaine allant vers La Turballe, soit à proximité du marais salant (à l'exception de Fontenay). Ainsi dans le secteur de La Madeleine, au nord de Guérande, les villages semblent tous porter des noms bretons ou presque.
Ceux de type BELLEVUE, BEAULIEU, BEAUREGARD, LA JALOUSIE, LA MASSE, LES MAISONS BRULEES etc. ne sont pas assez représentatifs pour être listés ici ; ils doivent être de création tardi-médiévale. Quant à VILLENEUVE, c'est un nom très fréquent en Basse-Bretagne.
Pour finir les noms en VILLE suivi d'un nom d'homme sont à manier avec précaution : témoin LA VILLE RENAUD, noté Kerrenault en 1544.
Autres exemples de toponymes romans anciens dans la commune de Guérande :
CLIS (Aula Clis dans le Cartulaire de Redon) est formé sur un mot latin désignant un lieu fortifié, comme Clisson
PUCEL près de Carheil > probable diminutif de puits. (Mais en breton vannetais on a aussi pus, puits, et des diminutifs en -ell).
Probablement TESSON (Teixon en 1572), à moins qu'il ne faille y voir un nom comparable à Theix, Teiz en breton (56) ?
FONTENAY
Ces noms intéressants (et nettement minoritaires par rapport aux noms bretons) suggèrent une présence très ancienne des langues romanes, depuis le Haut Moyen Age et pourquoi pas de manière continue.
Ils connaissent un répartition symptomatique : soit le long de la voie romaine allant vers La Turballe, soit à proximité du marais salant (à l'exception de Fontenay). Ainsi dans le secteur de La Madeleine, au nord de Guérande, les villages semblent tous porter des noms bretons ou presque.
Ceux de type BELLEVUE, BEAULIEU, BEAUREGARD, LA JALOUSIE, LA MASSE, LES MAISONS BRULEES etc. ne sont pas assez représentatifs pour être listés ici ; ils doivent être de création tardi-médiévale. Quant à VILLENEUVE, c'est un nom très fréquent en Basse-Bretagne.
Pour finir les noms en VILLE suivi d'un nom d'homme sont à manier avec précaution : témoin LA VILLE RENAUD, noté Kerrenault en 1544.
Ar Barzh- Messages : 775
Date d'inscription : 26/02/2008
Age : 53
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